Les racines invisibles d'un retournement à venir : comprendre pourquoi les dirigeants n’anticipent pas la dégradation
- Florent Gastaud
- 12 mai
- 3 min de lecture
La plupart des entreprises ne basculent pas du jour au lendemain dans une situation de retournement. Bien souvent, la dégradation s’installe de manière progressive, presque imperceptible et les dirigeants concernés affirment régulièrement ne pas avoir vu la crise venir.
Comment expliquer cet aveuglement ? Pourquoi certains signaux, pourtant objectifs, n’ont-ils pas été détectés ou pire, ont-ils été volontairement ignorés ?
1. Une dégradation lente, plus difficile à percevoir qu’un choc brutal
Les difficultés qui mènent à un retournement ne sont pas toujours spectaculaires. Il ne s’agit pas nécessairement d’un effondrement brutal du chiffre d’affaires ou d’une perte subite de clients majeurs. Dans de nombreux cas, c’est l’usure lente de l’appareil économique qui pose problème : une érosion progressive des marges, une dégradation du besoin en fonds de roulement, des tensions sur les délais de paiement ou encore une désorganisation rampante des équipes.
Ces signaux faibles, diffusés dans le temps, ne déclenchent pas immédiatement d’alerte. Ils finissent par être intégrés dans le quotidien du dirigeant comme faisant partie d’un nouveau “normal”. Ce phénomène d’accoutumance est particulièrement dangereux : il empêche toute remise en question rapide et retarde les décisions structurantes.
2. Le prisme émotionnel du dirigeant : entre résilience et déni
Le dirigeant est, par nature, dans une position d’équilibre entre l’optimisme nécessaire au leadership et la lucidité indispensable à la gestion. Face aux premières tensions, il lui faut rassurer ses équipes, ses clients, ses partenaires, tout en absorbant l’incertitude. Ce besoin de résilience peut parfois l’amener à minimiser les signaux négatifs.
Deux biais cognitifs jouent un rôle central dans cette dynamique. D’une part, le biais de confirmation pousse à ne retenir que les éléments qui confirment une vision positive de la situation. D’autre part, le biais de surconfiance amène à penser que “cela finira par se redresser”, que “l’entreprise a déjà surmonté pire”, ou que “le prochain trimestre sera le bon”. Ce mécanisme, souvent inconscient, contribue à retarder la prise de décision.
3. L’isolement décisionnel comme facteur aggravant
Dans beaucoup d'entreprises, le dirigeant est seul à porter la stratégie, le pilotage opérationnel et la gestion financière. Cette concentration des responsabilités limite la capacité à prendre du recul. Sans un comité de direction structuré, un conseil d’administration actif ou des conseils extérieurs engagés, il est difficile de confronter ses décisions à une vision critique et objective.
Ce manque de contradiction ou de dialogue stratégique crée un environnement propice au déni. L’entreprise peut ainsi glisser doucement vers le déclin sans que personne, au sein de la direction, n’en ait pleinement conscience.
4. Une trésorerie trompeuse qui retarde l’alerte
Dans certains cas, la trésorerie de l’entreprise reste positive alors même que les fondamentaux économiques se dégradent. Cette illusion de solidité est entretenue par des facteurs techniques ou conjoncturels : une optimisation ponctuelle du BFR, une baisse temporaire des stocks, le versement d’aides publiques ou le report de certaines charges peuvent masquer une baisse structurelle de la rentabilité ou une perte de parts de marché.
Tant que la trésorerie reste stable, l’urgence n’est pas perçue. Mais lorsque les premières tensions apparaissent sur les comptes bancaires, il est souvent trop tard pour éviter des mesures drastiques.
5. L’absence d’un pilotage financier rigoureux
Enfin, nombre de dirigeants n’ont pas à leur disposition des indicateurs fiables, mis à jour régulièrement, ou bien ils ne les exploitent pas pleinement. Le reporting est parfois sommaire, les tableaux de bord incomplets, et les projections financières figées, déconnectées de la réalité opérationnelle. Cette carence dans l’analyse empêche d’objectiver les dérives et retarde les décisions correctives.
Le pilotage financier devrait être un outil de prévention des crises. Il est encore trop souvent perçu comme une contrainte administrative plutôt que comme un levier stratégique.
Anticiper une situation de retournement nécessite avant tout de développer une culture de l’alerte et de la remise en question. Cela suppose de disposer d’indicateurs fiables, d’instaurer un dialogue stratégique régulier avec des interlocuteurs capables de challenger la vision du dirigeant, et d’adopter une posture d’analyse permanente, même lorsque les résultats sont bons.
Car dans un retournement, le plus grand danger n’est pas la crise elle-même.
Le vrai risque, c’est de ne pas la voir venir.
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